La situation actuelle est bien moins brillante, pour les villes nouvelles, que du temps du Comité de Décentralisation, qui donnait l’agrément aux entreprises autorisées à se développer en région parisienne. Ce comité a été supprimé en 1984 et depuis, la grande couronne est un peu abandonnée à son sort. Ce constat rejoint une controverse publiée dans la revue Urbanisme d’octobre 2018, N°410. Elle opposait le directeur adjoint de l’Établissement Public de la Défense, qui plaidait pour renforcer le centre de l’agglomération capitale et sa première ceinture. Son contradicteur était l’architecte-urbaniste Christophe Bayle, qui avait signé, l’été 2018, une pétition avec une vingtaine de collègues et de chercheurs universitaires en sciences sociales. Elle se prononçait en faveur de l’extension de la métropole parisienne à la grande couronne. Ces signataires rejoignaient la position de la présidente de Région d’Ile de France.
L’analyse de ces spécialistes du territoire et de l’urbanisme attribuait ce malaise de la grande couronne à la loi de 1983, qui avait institué les Syndicats d’Agglomération Nouvelle. Christophe Bayle juge qu’elle s’inspirait de l’adage « diviser pour mieux régner ». Si elles avaient gardé leur unité de gouvernance, les villes nouvelles auraient pu « lutter contre les forces centripètes. Au contraire, cette décision les a émiettées en réinstaurant les périmètres des anciennes communes rurales. »
Maintenant, dans l’Ile de France il se commercialise 2,4 à 2,6 millions de mètres carrés de bureaux par an, surtout intra-muros et dans la première couronne. Les villes nouvelles n’apparaissent plus dans les statistiques. On parle seulement un peu de Massy. Sur celle d’Évry, on doit atteindre 5 à 10 000 mètres carrés par an. Sur l’ensemble Grand Paris Sud, le stock de bureaux représente 30 000 à 40 000 mètres carrés sur Évry, et environ 30 000 mètres carrés sur Sénart, dont 16 000 en projet. Aucun projet sur Évry.
Les grands investisseurs se désengagent d’Évry. Ils n’y croient plus.
La ville nouvelle d’Évry a construit près de 1 million de mètres carrés de bureaux. Une partie de ces locaux ne correspond plus à la demande actuelle, et est obsolète. Les loyers ont peu augmenté (ce qui est un mauvais signe), mais les charges se sont sensiblement élevées. À la fin des années 1980, des petites entreprises se développaient, attirées par les grandes. C’était l’époque des activités et « tique » (informatique, robotique…). Les élus croyaient que cela continuerait, mais ce ne fut pas le cas. Au début des années 1990, toutes ces activités subissent la délocalisation, y compris IBM.
Les élus, qui avaient repris le pouvoir dans le cadre des SAN, auraient dû se mobiliser davantage, développer les relations avec les entreprises. De fait, on ne peut leur en faire grief, car leur métier est la gestion des équipements de proximité. La gestion d’un vaste bassin de vie relève d’un autre métier, qui consiste à assurer la cohérence des grands équipements, des implantations commerciales, des activités et des transports à une échelle qui les dépasse de loin. Les signataires de la pétition de l’été 2018 demandent que la Région, en plus de la compétence sur les transports qu’elle détient déjà, ait aussi celle des agréments d’implantations.
L’arrivée du Genopole, à la fin des années 1990, avait ravivé les espoirs, mais les effets restent limités. Les chercheurs habitent ailleurs.
Sur les locaux d’activités, il reste une petite demande, de l’ordre de 60 000 mètres carrés l’an sur Évry, et autant sur Sénart.
La logistique se développe beaucoup depuis la fin des années 1990, et surtout les années 2010. Avec le développement de filiales en province, ce marché est ce qui permet à Jean-François GRIMAUD de sauver sa structure. Ces grands entrepôts sont surtout voués à l’assemblage et à la commercialisation des produits fabriqués en Chine. Les bâtiments sont de plus en plus grands, et augmentent leur recrutement de personnels, mais de faible qualification. L’arrivée de grandes firmes, comme UPS ou Amazon, a marqué les dernières années.
Les grandes implantations commerciales, comme Évry2, sont en pleine évolution. Si elles suivent les changements de la sociologie de leur secteur, certaines, comme le Carré Sénart, captent une clientèle plus aisée, mais elles restent fragiles. L’itinéraire suivi, toujours avec retard, est celui des malls américains, qui s’ouvrent maintenant sur la ville… quand ils ne sont pas démolis. On retrouve les mêmes facteurs, qui plongent dans la crise les centres de beaucoup de villes de province.
Des atouts demeurent cependant. La préfecture est ce qui permet à Évry de tenir, alors que d’autres villes nouvelles, comme Marne la Vallée, n’ont pas cette fonction. Il y aussi l’université, qui a la chance d’être liée à l’ensemble universitaire de Paris Sud, jusqu’à Orsay, bénéficiant ainsi d’une image positive mondialement reconnue. On doit ajouter aussi deux constantes de l’histoire et de la géographie locale depuis des siècles : l’effet de porte sud de la région parisienne, qui explique maintenant le succès de la logistique, et l’attrait des chercheurs parisiens - et de leurs invités du monde entier – pour des implantations proches de la nature, qui trouvent des espaces pour s’étendre.
L’un des derniers directeurs de l’EPEVRY raisonnait sur un bassin de vie de Melun à Brétigny. L’histoire n’est pas terminée.
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